Urbanisme et développement durable

ENTREE THEMATIQUE - URBANISME ET DEVELOPPEMENT DURABLE

Références bibliographiques Pour aller plus loin

Urbanisme durable et recherche-action : enjeux de la fabrique urbaine à l'ère de l'urbanisme négocié

Par Antonio Da Cunha, économiste et géographe, professeur honoraire à l'Université de Lausanne

En urbanisme, la recherche-action  participe à la construction des connaissances sur la ville à partir des champs expérientiels de ses acteur/trice-s, incluant les chercheur-e-s eux/elles-mêmes ; réalisée avec les gens et non pas sur les gens,  elle permet de prendre en compte les points de vue, les imaginaires et les savoirs des principaux protagonistes du projet urbain (élus, professionnels, habitants, etc.); enfin, elle est un mode d'intervention qui privilégie la prise en compte des contextes de l'intervention. La recherche-action est à la fois réflexion et support de l'action (Schön, 1983). Elle est un outil de production de sens au sein même des planifications urbaines.

L'urbanisme est né de la volonté de réguler les transformations permanentes de la fabrique urbaine. Champ de savoirs marqué par l'interdisciplinarité des approches théoriques et la transversalité des pratiques professionnelles, l'urbanisme organise les relations entre les différents compartiments de la ville ; la composition des axialités, des formes naturelles et bâties et des polarités qu'elles articulent ; l'intégration entre les lieux et leurs zones avoisinantes ou plus lointaines. De fait, l'urbanisme est aussi une politique publique (urban planning), un ensemble de décisions (stratégiques, réglementaires, opérationnelles, etc.) de différents niveaux juridiques et d'actions, concertées et ciblées vers des objectifs, que les acteurs compétents, privés et publics, prennent ou appliquent en vue de maîtriser la transformation des territoires urbains aux différentes échelles géographiques et temporelles.

À ce niveau, la recherche-action en urbanisme peut jouer un rôle majeur.  La notion a été proposée par John Collier (1945). Il constate que lorsque la recherche sociale part d'un besoin d'agir, qu'elle intègre plusieurs disciplines et les différents acteurs concernés elle produit aussi des résultats plus pertinents. En urbanisme, la recherche-action  participe à la construction des connaissances sur la ville à partir des champs expérientiels de ses acteur/trice-s, incluant les chercheur-e-s eux/elles-mêmes ; réalisée avec les gens et non pas sur les gens,  elle permet de prendre en compte les points de vue, les imaginaires et les savoirs des principaux protagonistes du projet urbain (élus, professionnels, habitants, etc.); enfin, elle est un mode d'intervention qui privilégie la prise en compte des contextes de l'intervention. La recherche-action est à la fois réflexion et support de l'action (Schön, 1983). Elle est un outil de production de sens au sein même des planifications urbaines.

Urbanisme durable : nouveaux enjeux de la fabrique urbaine

Point d'interrogation majeur de l'avenir durable de la planète, la ville contemporaine est arrivée à un tournant décisif. Celui de l'impératif écologique. L'urbanisme durable relève les défis des nouveaux enjeux de la fabrique urbaine et de l'invention de nouveaux modes de faire la ville et de la composer qui sollicitent l'intégration de la mise en valeur environnementale et du développement économique et social ainsi que la coopération d'une multiplicité d'acteur/trice-s. Comment rendre la ville soutenable par la nature et l'environnement urbain supportable par les habitant-e-s ? Autrement dit, comment donner à la ville un ordre signifiant, humain, porteur d'inclusion sociale et de diversité culturelle, appropriable par les habitant-e-s et usager/èr-e-s tout en étant structuré comme un écosystème économe en ressources critiques ? Action sur l'imaginaire et les formes matérielles de la ville, les fonctions et les usages qu'elles accueillent, ou encore des significations esthétiques qu'elles éveillent, l'urbanisme durable est au cœur de la recherche de réponses à cette question.  Les pistes de réflexion sont multiples et souvent controversées.

De nouveaux objets d'analyse apparaissent et se diffusent rapidement tout en étant rapidement questionnées. La ville écologique, verte, polycentrée, accessible et connectée se cherche entre la qualité patrimoniale des tissus historiques, l'héritage fragmenté de la ville étalée et les interstices de la ville dense et compacte. Aux partisan-e-s d'un renforcement des technologies de mobilité douces s'opposent les pionniers d'une nouvelle révolution « high-tech ». Les recherches sur la ville postcarbone sont partagées entre les perspectives de la croissance verte et de la décroissance.

Les questions en débat sont multiples. Quelles sont les clefs urbaines de la transition écologique ? Quelle contribution des villes à la maîtrise du changement climatique et à la résilience des territoires ? La recherche d'économie des ressources critiques peut-elle aller jusqu'à recommander différentes formes de décroissance (économique, démographique, urbaine, etc.) ? Comment offrir une alternative à la mise en scène urbaine de la société globale de consommation par le secteur privé et recréer le sens de la ville ? De quelles manières réaffirmer la dimension symbolique des espaces publics face aux héritages de la ville franchisée ? La ville frugale choisie peut-elle constituer le principe fondateur d'une nouvelle urbanité ?

Des questionnements multiples … un même constat…

Les questionnements peuvent être multipliés à l'infini. Cependant, ils nous renvoient chaque fois à un même constat : la possibilité d'envisager l'agencement de l'espace urbain comme une structure active capable d'agir sur la qualité des cadres de vie et son aménagement concerté et négocié entres les divers acteur/trice-s concerné-e-s comme un levier d'un développement durable possible subordonnée à des choix politiques et éthiques. Regardant l'urbain à la fois comme un système spatial, un écosystème, un paysage, une relation sensorielle et esthétique qui s'établit en un lieu et à un moment donné, entre l'habitant-e et les qualités de son espace vécu, l'urbanisme durable essaie de concevoir les planifications et des projets capables de contribuer à rendre les villes plus résilientes et plus inclusives, de qualifier les lieux, de restaurer l'intimité entre les pleins et les vides, entre le minéral et le végétal, entre les habitant-e-s et la ville.

Autant dire que la fabrique de la ville durable exige de davantage d'intelligence collective. La recherche-action constitue un outil d'investigation collaboratif et participatif dans le sens où elle a comme ambition de réunir dans sa démarche l'ensemble des acteur/trice-s concerné-e-s en accordant une place déterminante aux usager/ère-s finaux/ales : les habitant-e-s.

Fabrique de la ville, urbanisme négocié et recherche-action : une intelligence collective

La fabrication de la ville durable évoque avant tout la réalisation d'espaces publics – rues, places, parcs, jardins, mailles vertes, réseaux – et la construction de logements, d'équipements et d'ouvrages de génie civil qui font sa matière visible. De fait, l'exercice du projet urbain est une démarche de « spatialisation » de cette matière visible (design spatial) qui suppose un exercice parallèle de construction d'un design social, c'est-à-dire d'une organisation partenariale des acteur/trice-s de l'aménagement urbain constitutive de leur intelligence collective. Les savoirs et les savoir-faire de l'urbanisme contemporain ne peuvent pas être maîtrisés par des équipes restreintes. Pour répondre aux enjeux du développement durable, de nouvelles missions émergent et les parties prenantes deviennent de plus importantes la plupart jouant un rôle incontournable dans les scènes de délibération et de décision. Des modalités d'action plus soucieuses de durabilité écologique, économique et sociale surgissent autour de projets urbains cristallisant tensions et conflits mais aussi de nouvelles exigences de participation, de concertation et de gouvernance.

Dans la perspective de la recherche-action, l'interrogation sur les acteurs de la fabrique urbaine figure en position centrale : quels sont les acteur/trice-s de la fabrique urbaine ? Quels sont leurs rôles et leurs référentiels d'action, leurs valeurs et leurs motivations, leurs stratégies et leurs logiques d'action ? Le design social de projet est-il inclusif, participatif ? De quelles manières sont conduits les processus de concertation, de négociation et de régulation de l'action collective en matière de production urbaine ? Comment éviter le fractionnement des intelligences, l'éclatement de la chaîne d'acteurs, des démarches trop séquentielles génératrices de conflits, allant à contre-courant d'une démarche concertée et participative connectée aux valeurs d'usage de la production urbaine ? Si le conflit est la première forme du dialogue, un moyen de faire valoir son opinion et ses intérêts, la concertation et la négociation constitue, dans le cadre d'une politique publique, la meilleure voie pour déboucher sur des démarches innovatrices à plusieurs dividendes.

Séparer recherche et action : un non-sens en urbanisme

Dans le domaine de l'urbanisme, la séparation entre recherche et action devient un non-sens et la nécessité d'alimenter les recherches par des expériences professionnelles et inversement ce faisant sentir. Placés en prise avec l'action pour les besoins des habitant-e-s les chercheur-e-s adoptent une posture de praticien-ne—réflexif/ve-s (Schön, 1983) en s'inscrivant dans un mouvement continu et itératif de formulations d'hypothèses, d'écoute sensible des acteur/trice-s, d'analyses pluralistes des leurs représentations et de leurs discours, de tests de triangulation des observations à valeur opérationnelle et de retour analytique sur des cadrages conceptuels. Cette recherche-action est caractérisé par des exigences de qualité scientifique formulées depuis les travaux fondateurs de Kurt Lewin et de ses successeurs. Une telle manière de faire suppose :

  • la mise en œuvre d'un processus itératif de conceptualisation, d'observation et d'écoute sensible de l'ensemble des acteurs en vue d'évaluer les résultats de l'investigation ;
  • la rétroaction des résultats de la recherche à tous les groupes d'intérêts impliqués ;
  • la coopération entre les chercheurs et l'ensemble des acteurs du projet (élus, professionnels, habitants, etc.) ;
  • l'application des principes de croisement des opinions qui caractérisent la délibération en groupe;
  • la prise en compte des différences dans les systèmes de valeurs, les partis pris et les structures de pouvoir des parties impliquées dans la recherche ;
  • l'utilisation des connaissances nouvelles dans une perspective d'intérêt collectif.

Ces caractéristiques de la recherche-action sont encore d'actualité aujourd'hui. Certaines d'entre elles, comportent des implications qui la distinguent nettement de la recherche traditionnelle. À l'ère de l'urbanisme durable, négocié et participatif, l'idée qu'à travers la recherche-action des avancées théoriques peuvent être réalisées en même temps que des changements urbains reste d'une parfaite actualité.

Bibliogaphie indicative :

Catroux, M. (2002). « Introduction à la recherche-action : modalités d'une démarche théorique centrée sur la pratique », Recherche et pratiques pédagogiques en langues de spécialité, Vol. XXI N° 3,  8-20.

Collier, J. (1945). United States Indian Administration as a laboratory of ethnic  relations. Social Research, 12 (3), 265-303.

Da Cunha, A. (2015). « Nouvelle écologie urbaine et urbanisme durable. De l'impératif écologique à la qualité urbaine », in Bulletin de la Société Géographique de Liège, no 65, pp. 5-25.

Lewin, K. (1946). Action research and minority problems. Journal of Social  Issues, 2 (4), 34-46.

Resweber, J.P. (1988).  La recherche-action. Paris : Presses Universitaires de France, Que-Sais-Je ?

Schön, D. A. (1983). The reflective practitioner : how professionals think in action. New York : Basic Books.

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Pour aller plus loin

Luxembourg, C. (2016). La banlieue côté femmes : une recherche-action à Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Itinéraires, 3. http://journals.openedition.org/itineraires/3633

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