Culture

ENTREE THEMATIQUE - CULTURE

Références bibliographiques Pour aller plus loin

Trois courants de la recherche-action en culture. L'exemple du Québec


Par Jean-Marie Lafortune, professeur au département de la communication sociale et publique de l'Université du Québec à Montréal

L'essor des pratiques de recherche-action en culture au cours des vingt dernières années au Québec reposent sur trois courants distincts dans leurs objets et applications, mais unifiés par un même objectif : élargir l'accès aux ressources institutionnelles et renforcer les conditions d'exercice de la citoyenneté. Explicitement tournées vers l'amélioration de situations individuelles et collectives concrètes, sans toutefois faire l'économie d'une problématisation plus large formulée à partir des éléments de contexte, cette stratégie d'investigation esquisse les figures du théoricien pragmatique et du praticien réflexif.


Sans toujours conduire à la permutabilité des rôles, la recherche-action est reconnue pour la nature hybride des connaissances qui en découlent (scientifique-pratique), le caractère participatif du procès de production de ces connaissances (co-construction) et leur mobilisation par les acteurs non-académiques dans le transfert de compétences, voire de responsabilités (autonomisation), qui s'opère au cours de la démarche (Lavoie et al, 2003). Les trois courants évoqués ci-après à partir d'expériences phares s'ancrent dans autant de paradigmes, qui dessinent des configurations d'acteur/trice-s relativs à différents mondes de la culture.

Evaluer de manière formative les projets artistiques

Éprouvées en appui au développement de pratiques professionnelles (évaluation de la formation, didactique, implantation des TIC, dynamiques d'apprentissage, rapports de pouvoir) (Prud'homme et al, 2011), les pratiques de recherche-action se déployant dans le cadre d'évaluations formatives se sont étendues du monde de l'éducation aux milieux artistiques.

Ces milieux étant rébarbatifs au principe comptable de reddition de compte, le transfert ne s'est opéré qu'à la condition où justement l'évaluation avait cette visée formative et était conçue comme un exercice de réflexion plutôt qu'un outil de contrôle ou de mesure de performance. Si le travail de terrain colle aux enjeux des acteur/trice-s concerné-e-s, il s'inscrit dans une perspective critique plus large des rapports sociaux (exclusion, marginalisation, etc.).

La démarche adoptée obéit aux principes de la recherche partenariale, caractérisée par la participation, la transparence, l'autonomie et la réflexivité. Débutant dès la phase d'élaboration des projets, elle doit avoir des objectifs réalistes et répondre à des besoins manifestes. Parmi les gages de succès, notons qu'il faut prendre le temps nécessaire pour clarifier le processus, établir les relations partenariales, bien connaître les personnes-ressources et les destinataires de la recherche.

Comme le relate Jacob (2012 : 99), l'évaluation de projets artistiques « permet de clarifier les attentes, procure des éléments nécessaires à la prise de décision, aide à trouver les raisons d'un oubli ou d'un échec, soutient les organismes et les professionnels qui doivent agir de façon responsable, contribue à la connaissance des milieux et au débat public sur des dimensions fondamentales de la vie en commun telles que la culture 

Mener de manière participative la planification culturelle

Conçue comme un instrument de transformation d'une situation problématique et de production de connaissances sur cette transformation, la recherche-action conduite autour de l'élaboration de politiques culturelles locales a également livré ses fruits.

À cette échelle, la planification culturelle est une planification stratégique et intégrée misant sur l'implication des ressources culturelles (infrastructures et main d'œuvre des arts et de la culture) pour le développement territorial. Elle repose sur quatre piliers : les appuis politiques, l'action de hauts fonctionnaires municipaux, les contacts avec le milieu local des affaires et la force des organismes de défense de la culture. L'approche apporte à l'exercice une dimension participative avec des acteur/trice-s clés, une méthodologie souple non expérimentale et des mécanismes efficaces de transfert de connaissances, en autant que les chercheur-e-s y jouent le rôle d'animateur-e—médiateur/trice-.

L'exercice mené par Laquerre et de La Durantaye (2003) dans la ville de Longueuil s'est appuyé sur une mmodélisation systémique en se donnant pour objectifs de comprendre les processus et les caractéristiques du système culturel local ouvert dans un environnement changeant, d'identifier les intrants (variables indépendantes), les extrants (variables dépendantes – résultats attendus par les acteur/trice-s) et les effets de rétroaction. Il en est découlé une nouvelle politique culturelle doublée d'un plan d'action ainsi qu'un renforcement des liens l'intérieur du milieu culturel.

Parmi les apports attribuables à cette expérimentation, soulignons l'établissement de consensus forts entre les acteur/trice-s, la participation démocratique et l'accompagnement des décideur-e-s par les chercheur-e-s. En revanche, la démarche est longue et exigeante, la consultation continue est très accaparante et l'implication parfois chancelante des acteurs doit être compensée par des efforts additionnels des chercheur-e-s.

Accompagner le développement local

La recherche partenariale en développement local, rattachée au mouvement de l'économie sociale, regroupant des entreprises collectives des secteurs coopératif, mutuelliste ou associatif, est particulièrement prolifique. Cette économie repose sur l'engagement citoyen à partir duquel sont actualisées des aspirations individuelles et collectives et sont expérimentées des solutions novatrices en réponse à̀ des problèmes socioéconomiques.

Se revendiquant de l'innovation sociale, issue de la rencontre entre chercheur-e-s académiques et acteur/trice-s sociaux/sociales en contexte, l'économie sociale recouvre outre la culture les secteurs financiers, du loisir, du tourisme, des télécommunications, de l'agro-alimentaire, du transport, du logement, de la vente au détail, de l'aide domestique et des services sociaux. Les travaux menés associent différents mouvements sociaux (associatifs, coopératifs ou féministes) et alimentent l'élaboration de politiques publiques.

Parmi les enjeux soulevés par ces pratiques, citons leur rôle joué dans la médiation des rapports entre l'économie et la société. À cet égard, l'économie sociale contribue au renouvellement des modalités de régulation des sociétés dans un contexte politique et une conjoncture économique où l'État et le marché collaborent de plus en plus avec la société civile pour mobiliser de façon inédite un ensemble de ressources sociétales. Un autre enjeu de recherche porte sur l'apport spécifique de l'économie sociale au développement des territoires, particulièrement ceux aux prises avec des processus de dévitalisation. Il s'étend à la production de connaissances liées à̀ l'impact du développement de l'économie sociale sur le bien-être des collectivités.

Bibliographie indicative :

Fontan, J.-M. (2005). La recherche partenariale en économie sociale : l'expérience québécoise, Cahiers de l'ARUC-ÉS, Cahier n° C-15.

Jacob, L. (2012). Mesures et démesures : les leçons de l'évaluation. Dans J.-M. Lafortune (dir.). La médiation culturelle : le sens des mots et l'essence des pratiques. Québec : PUQ, p. 79–101.

Laquerre, S., & de La Durantaye, M. (2003). Recherche-action : présentation d'un modèle d'analyse et de planification d'un système culturel et d'une démarche d'élaboration d'une politique culturelle - le cas de Longueuil.  Loisir et Société, vol. 26, n°1, p. 113-142.

Lavoie, L. et al. (2003). La recherche-action - théorie et pratique : manuel d'autoformation, Sainte-Foy : PUQ.

Prud'homme, L. et al. (2011). Le sens construit autour de la différenciation pédagogique dans le cadre d'une recherche-action-formation. Éducation et francophonie, 39, n° 2, p. 165–188.

 

Pour aller plus loin

Nous avons besoin de vous pour "aller plus loin...". D'avance merci de nous faire connaître des références, accessibles en ligne, susceptibles d'illustrer et approfondir cette réflexion.

​​