Education & Formation

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Références bibliographiques Pour aller plus loin

La recherche-action en sciences de l'éducation

Par Pierre-François Coen, professeur à la Haute école pédagogique de Fribourg et responsable de l'Unité de recherche EVIDENS (évaluation – identité – enseignement)

Recherche - action, recherche participative, recherche intervention, recherche formation, recherche - collaborative … Cette liste d'appariements du mot recherche avec d'autres vocables n'est pas exhaustive ni particulière aux sciences de l'éducation. Ces différentes formes de recherche présentent bien des parentés avec d'autres disciplines, mais également des spécificités propres au champ de l'éducation. Nous nous emploierons ici à dresser quelques lignes qui permettront de définir et délimiter cette approche.

L'idée d'intégrer la recherche à l'action n'est pas nouvelle. Lewin (1946) proposait déjà des approches de recherche dans l'action pour permettre aux chercheurs d'avoir une réflexion sur leur propre rôle dans le processus de recherche. En ce sens, cette logique se démarquait clairement des approches positivistes alors en plein développement à cette époque. La science devait garantir une nécessaire distance entre le/la chercheur-e et son objet et un contrôle des variables qui pourraient éventuellement parasiter les résultats. Il en allait ainsi pour décrire, comparer ou expliquer les phénomènes éducatifs en s'appuyant sur une démarche hypothéticodéductive. Pourtant, certain-e-s chercheur-e-s en sciences de l'éducation ont exploré d'autres voies, en particulier pour essayer de comprendre le champ dans lequel ils travaillaient et pour favoriser les changements et l'innovation. Selon Corey (1953), les études conduites dans les classes devraient être menées par les enseignant-e-s eux-mêmes/elles-mêmes, seul-e-s responsables de changer leurs pratiques. Ainsi, l'idée de faire de la recherche avec plutôt que sur les enseignant-e-s s'installe progressivement dans le paysage (Lieberman, 1986). Cette approche subjectiviste soutient que la réalité n'est jamais extérieure au sujet qui l'observe (Billon-Descarpentries & Forestier, 2000) et que dès lors, pour comprendre le milieu, la science doit s'ouvrir au milieu et doit créer des liens entre cultures, disciplines et méthodologies.

Lessard-Hébert et Goyette (1988), soulignent que la recherche-action en éducation présente des facettes très variées et s'appuient sur des cadres de référence conceptuels et/ou méthodologiques diversifiés. Lessard-Hébert (1991) ajoute cependant que ce type de démarche se caractérise souvent par un cycle d'étapes très souvent présentes comme l'exploration et l'analyse d'expériences sur le terrain, l'énoncé d'un problème de recherche, la planification et la réalisation du projet, la présentation et l'analyse de résultats et enfin des prises de décisions et des propositions de pistes d'action, le tout supposant une forte implication des différents acteurs à chaque étape du processus.

Implémenter de nouvelles pratiques pédagogiques en produisant un savoir partagé

Dans les années 80, Checkland (1981), Kemmis (1984) et Gauthier (1984) - pour ne citer qu'eux - promeuvent la recherche-action pour allier à la fois les intérêts des praticien-e-s et des chercheur/se-s. Conduit entre 1981 et 1985 à Genève, le projet RAPSODIE (Rougemont, 1987) est une très bonne illustration de ce type de démarche associant des chercheur-e-s et des enseignant-e-s de l'école primaire qui portent conjointement le projet. Visant le développement de la différenciation dans l'enseignement du français - et par là une modification des pratiques des enseignant-e-s - des équipes mixtes de chercheur/se-s et d'enseignant-e-s sont constituées. Elles ont permis à la fois l'implémentation de nouvelles pratiques pédagogiques et la production d'un savoir scientifique partagé en particulier dans le domaine de la différenciation pédagogique. Une autre recherche conduite à la même époque en Belgique a permis de travailler sur la fabrication (et la réduction) des inégalités au sein même des écoles. Là encore, des équipes enseignant-e-s et chercheur/se-s étaient à la manoeuvre (Blondin, de Landsheere, Detheux, Dethier, Lejong,& Massoz, 1985).

Parmi les enjeux majeurs liés à la recherche-action dans le monde de l'éducation, nous pouvons noter la présence plus saillante de certains d'entre eux. Nous en reprendrons quelques-uns ici sachant bien que cette catégorisation est évidemment limitante et probablement discutable.

La recherche collaborative pour former

Dans le champ éducatif, les liens tissés entre recherche et action se modalisent très souvent lorsqu'il y a la volonté de former des enseignant-e-s. Dans ce contexte, le binôme recherche - collaborative s'est bien implanté. Selon Desgagné (2001), il s'agit d'allier les intérêts des chercheur/se-s avec ceux des enseignant-e-s. Ainsi, à partir d'une thématique générale commune, il convient de délimiter à la fois des objets de recherche et des objets de formation en visant des retombées fécondes des deux côtés. Au coeur de ces enjeux se situe une activité réflexive, constante, qui agira comme un levier de formation pour les praticien-ne-s qui seront en recherche et comme matériau susceptible de produire des connaissances nouvelles pour les chercheur/se-s, qui feront de la recherche (Beillerot, 1991). La collaboration se joue autour de cette activité réflexive qui permet que les attentes des uns et des autres soient satisfaites, mais aussi dans ce que Desgagné nomme une « interinfluence » entre praticien-e-s et chercheur-e-s qui permet la coconstruction (Cole, 1989) d'un savoir qui tiennent compte des contextes de la recherche.

La recherche intervention pour innover

La recherche intervention vise à transformer l'objet de recherche afin de l'observer et de mieux le connaître (Tochon & Miron, 2004). La démarche s'appuie des hypothèses provisoires qui vont évoluer tout au long du projet en fonction des effets produits. Ce type de recherche suppose une forte implication des chercheur/se-s dans le milieu même si ces derniers peuvent (doivent) à certains moments, s'en dégager pour en faire une analyse distancée. Selon Billon-Descarpentries & Forestier (2000), « la recherche-intervention fonde essentiellement sa pratique sur l'interactivité cognitive entre les chercheurs et les membres de l'organisation dans laquelle s'effectue la recherche » (p. 114). Ainsi, cette approche sociocognitive (Lauriol, 1995) permet d'associer les représentations du fonctionnement de l'organisation des chercheur-e-s avec celles des acteurs qui agissent de manière à produire des changements ou des innovations (Savall & Zardet 1996).

La recherche par la conception pour comprendre la complexité

Dans des recherches plus récentes, l'approche de recherches orientées par la conception (Sanchez, R Monod-Ansaldi, 2015) s'inscrit toujours dans cette logique collaborative. L'idée d'associer des praticien-e-s et des chercheur/se-s reste, là encore, au coeur du dispositif. Grâce aux échanges qui s'opèrent entre eux, il est possible d'élaborer un discours commun sur l'objet qui est partagé (Morellato, 2017). Ainsi, lorsqu'il s'agit par exemple d'analyser des pratiques d'enseignement, il est possible d'élaborer une praxéologie partagée. Ce type de recherches se déploie actuellement lors de la conception de dispositifs d'enseignement (qui recourent notamment aux technologies numériques) où il est nécessaire d'analyser ces interactions dans les contextes où se manifestent des contraintes de toutes sortes. Il sera ainsi possible de mieux définir les conditions de cette collaboration ainsi que les savoirs et savoir-faire mobilisés par les différents acteurs impliqués (Monod-Ansaldi et al,.2015). Ce modèle fait mention de nouveaux rôles comme le passeur (acteur qui appartient aux deux communautés et qui joue le rôle d'interface) ou de nouveaux concepts comme les objets - frontières (Trompette & Vinck, 2009) vus comme des éléments situés à l'intersection de plusieurs mondes sociaux.

Des défis stimulant à relever…

Ces différentes approches sont des exemples qui soulèvent quelques défis. D'abord, la réelle implémentation des pratiques est à questionner en particulier lorsque la recherche est définie dans le temps. Un programme de recherche est fréquemment soutenu par des moyens financiers qui, une fois consommés, peuvent compromettre la pérennisation des pratiques mises en place. Ensuite, trouver des courroies de transmission qui permettent un passage à la généralisation reste aujourd'hui difficile à réaliser. Le système éducatif est un vaste ensemble composé d'écoles, de classes et de formateurs/trices. Le pouvoir politique pilote ce système et souhaite maintenir une certaine homogénéité. Garantir l'égalité des chances ou mettre en place des systèmes de certification reconnus ne peut pas reposer sur une multitude de projets pilotes très différents d'un endroit à l'autre. Il n'est pas simple de transposer ce qui a fonctionné dans un contexte dans un autre contexte. A fortiori si les projets s'enracinent dans des initiatives locales portées par des enseignant-e-s convaincu-e-s de la nécessité de telle ou telle innovation. Enfin, ces démarches posent également des questions en termes de validité des savoirs scientifiques développés. Les cadres épistémologiques qui sous-tendent ces études sont parfois si spécifiques qu'il devient difficile d'en saisir toute l'intelligibilité. Comment dès lors, leur donner une lisibilité suffisante pour qu'ils puissent être soumis au débat et à la controverse de la communauté scientifique et contribuer efficacement à son enrichissement?

Si l'intérêt pour les recherches-actions (collaboratives) n'est plus à démontrer, dans le monde l'éducation, il demeure pourtant encore la nécessité de lui donner toute la place qu'elles méritent et de les voir comme une véritable alternative complémentaire aux démarches de recherche habituellement utilisées et soutenues dans ce champ. Il convient en particulier de voir comment il est concrètement possible de prendre comme partenaires les enseignant-es qui sont généralement très peu soutenu-e-s et reconnu-e-s lorsqu'ils/elles s'engagent dans des projets de ce type.

Bibiliographie indicative

Beillerot, J. (1991). La “recherche". Essai d'analyse. Recherche & Formation, 9, 17–31.

Billon-Descarpentries, J., & Forestier, D. (2000). La recherche-intervention en éducation appliquée à la santé: entre intention scientifique et transformation du terrain. Spirale  Revue de recherches en éducation, 25(25), 111–118.

Blondin, C., de Landsheere, V., Detheux, M., Dethier, A., Lejong, M., & Massoz, D. (1985). Des chercheurs vont à l'école: essai de mise en place d'innovations relatives aux inégalités dans l'enseignement fondamental. Liège, Belgique : Laboratoire de pédagogie expérimentale, Université de Liège.

Checkland, P. (1981). Systems thinking, systems practice. New-York, USA : Chichester.

Cole, A. L. (1989). Researcher and teacher: Partners in theory building. Journal of Education for Teaching, 15(3), 225–237.

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Gauthier, C. (1984). La recherche en éducation, essai de définition. Montréal, Canada : Presse de l'Université de Qué.

Lauriol, J. (1995). Approches cognitives de la décision et concept de représentation sociale. A. NOEL, P.Lessard-Hébert, M. (1991). Recherche action en milieu éducatif: guide méthodologique pour la réalisation de projets individuels. Ottawa, Canada : Éditions nouvelles & ARC.

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Lieberman, A. (1986). Collaborative research: Working with, not working on. Educational Leadership, 43(5), 28–32.

Monod-Ansaldi, R., Sanchez, E., Devallois, D., Daubias, P., Brondex, A., Doche, A.-S., … Perez, P. (2015). Un exemple de recherche collaborative orientée par la conception analysée au regard de la Théorie anthropologique du didactique. Atelier méthodologies de conception collaborative des EIAH: vers des approches pluridisciplinaires.

Morellato, M. (2017). Travail coopératif entre professeurs et chercheurs dans le cadre d'une ingénierie didactique sur la construction des nombres: conditions de la constitution de l'expérience collective. Thèse de doctorat non publié. Brest, France : Université de Bretagne occidentale.

Rougemont, M. (1987). RAPSODIE : un projet collectif et une vie en commun : récit des trois dernières années de la recherche-action : de septembre 1981 à juin 1985. Genève, Suisse : Département de l'instruction publique Enseignement primaire Groupe RAPSODIE.

Sanchez, E., & Monod-Ansaldi, R. (2015a). Recherche collaborative orientée par la conception. Un paradigme méthodologique pour prendre en compte la complexité des situations d'enseignement-apprentissage. Éducation et Didactique, 9(2), 73–94.

Savall, H., & Zardet, V. (1996). La dimension cognitive de la recherche-intervention: la production de connaissances par interactivité cognitive. Revue Internationale de Systémique, 10, 157–189.

Tochon, F., & Miron, J.-M. (2004). La recherche-intervention éducative: transition entre famille et CPE. Sainte-Foy, Canada : Presses de l'Université du Québec.

Trompette, P., & Vinck, D. (2009). Retour sur la notion d'objet-frontière. Revue D'anthropologie Des Connaissances, 3(1), 5–27.

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Pour aller plus loin

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